Un chiffre résume, à lui seul, l’urgence à changer de braquet : le bâtiment représente 25 % de l’empreinte carbone de la France, soit 153 millions de tonnes équivalent - CO2 (données 2019 du ministère de la Transition écologique). 

Parmi ces émissions, 80 % sont dus aux constructions neuves. Pour relever le défi, mais aussi répondre aux besoins de logements, une seule solution : mobiliser davantage le parc existant. Il s’agit de réhabiliter ou de restructurer les immeubles de logements obsolètes, les fameuses passoires thermiques notamment, de transformer les bureaux qui ne trouveront jamais preneurs et d’optimiser les logements vacants.

L’équation des coûts à revoir

Beaucoup de collectivités continuent de construire en neuf et en périphérie parce que l’acquisition-­rénovation reste plus coûteuse, regrette ­Nicolas Naville, directeur de domaine d’action stratégique et de recherche au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Le cadre réglementaire, le droit foncier et la fiscalité doivent être revus pour contraindre davantage la construction neuve. Les bailleurs sociaux, par exemple, touchent plus d’aides de l’Etat lorsqu’ils bâtissent ex nihilo que lorsqu’ils rénovent ! Si l’équation des coûts prenait en compte les émissions carbone, le gaspillage des ressources, la production de déchets et l’impact environnemental, alors il serait moins cher de rénover.

Réhabiliter présente de nombreux autres avantages. Un exemple : le risque de recours par des riverains exacerbés à l’idée de voir sortir de terre un bâtiment à côté de chez eux. "Lorsqu’on entreprend une rénovation, il y a des discussions sur l’organisation du chantier, pour qu’il n’y ait pas trop de bruit, mais pas sur l’­opportunité du projet. On perd beaucoup moins de temps en contentieux ", argue ­Sylvain ­Grisot. La loi  climat et résilience d’août 2021 prévoit plusieurs dispositions en faveur d’un urbanisme cir­culaire, comme le zéro artificialisation nette (ZAN). Certes, le ZAN n’empêche pas de raser un bâtiment pour le reconstruire au même endroit, mais une mesure de ce texte complique ce choix. "La loi introduit l’obligation, pour le maître d’ouvrage, de prouver qu’il n’a pas d’alternative à la démolition", souligne ­Sylvain Grisot.

Moins de gravats

De plus en plus de collectivités relèvent le défi de mobiliser davantage l’existant pour autant de gravats en moins, de matériaux neufs non consommés et une réduction significative de l’empreinte carbone. 

Parmi les lauréats, Chaville (20 000 hab., Hauts-de-Seine) a obtenu 250 000 euros de subventions pour la restructuration d’un bâtiment et la création de quatre logements communaux. Les locaux du club de tennis, avec son restaurant, sa salle de sport et ses vestiaires au sous-sol ont été rénovés. Les anciens bureaux des services techniques ont été transformés en logements. "Nous avons conservé un maximum de la structure du bâti, les murs, les cloisons, la toiture, détaille Christian Prampart, directeur des services techniques. Nous avons réemployé de nombreux équipements comme le zinc du bar, les fenêtres à double vitrage en bon état, des sanitaires. Réhabiliter au lieu de démolir pour ­reconstruire nous a fait gagner un temps précieux. Le chantier a été achevé en dix mois." Les travaux ont coûté 1 628 euros au mètre carré. Le neuf aurait représenté le double.  Déménagement et réaménagement des mobiliers des équipements publics, démontage des cloisons, curage des éléments techniques, peinture… beaucoup de travaux ont été réalisés par les agents des services techniques, qui se sont ainsi formés aux techniques de rénovation, ajoute-t-il.

De la pertinence des choix techniques

Thristian Prampart le reconnaît, " réhabiliter est plus compliqué techniquement que raser et reconstruire, parce qu’on ne travaille pas sur une page blanche. Il faut s’adapter à l’existant. Ainsi, nous avons passé un audit du réseau électrique pour conserver 60 % du câblage. Idem pour les canalisations. Il a fallu au moins un collaborateur au quotidien sur le chantier pour le suivre ". Le risque que les coûts dérapent et que les performances attendues du bâtiment ne soient pas au rendez-vous est un obstacle majeur à la réhabilitation de l’existant par les collectivités. Autre frein : que faire des occupants pendant la phase de travaux ? " Construire du neuf à côté est beaucoup plus simple, analyse ­Nicolas Naville. Lorsqu’on réhabilite une école, on peut reloger les enfants dans des Algeco dans la cour, ce qui implique des discussions compliquées avec les parents d’élèves et les enseignants. "

Il y a aussi des bâtiments auxquels on ne peut pas offrir de seconde vie. " Pas parce qu’ils s’effondrent, mais parce que leur structure est inadaptée aux nouveaux usages, constate Sylvain Grisot. Les immeubles de bureau dont les cloisons intérieures sont porteuses en sont un exemple. Pour décloisonner, il faut taper dans la structure, c’est cher et parfois impossible. " Et des bâtiments obsolètes en termes d’usage, à cause de choix techniques de construction, il en existe beaucoup.

" La rénovation doit être envisagée partout où elle est pertinente, mais elle doit s’apprécier aux filtres de plusieurs critères, comme la performance énergétique, les besoins du territoire, la qualité du bâtiment, l’attractivité du quartier, poursuit ­Nicolas Naville. Il faut aider les collectivités à se poser les bonnes questions. Le CSTB travaille à objectiver toutes ces données pour partager une grille d­’analyse avec les différents acteurs du bâtiment. »

Une opération innovante

Les collectivités disposent d’autres leviers pour mobiliser le bâti existant, comme le fait d’inciter les propriétaires privés à valoriser leur logement par l’intermédiaire des autorisations d’urbanisme. 

Source: La Gazette, le 12/11/2024