Le très attendu projet de loi 4D, pour différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification est enfin sorti des arbitrages ministériels. Notre confrère Contexte a pu diffuser le document présentant son exposé des motifs et les 66 articles qui le composent. Décryptage.
Un temps mis au placard, le projet de loi 4D est à nouveau sur les rails pour trouver une place dans l’agenda parlementaire – déjà surchargé – avant la fin du quinquennat. Jean Castex a profité d’une sortie le 13 février 2021, pour annoncer que le texte serait présenté en conseil des ministres au début du printemps.
La ministre de la Cohésion des territoires Jacqueline Gourault a transmis le projet de loi 4D au Conseil d’Etat dans la foulée, le 18 février.
Décryptage du texte, thématique par thématique :
La première partie du texte vient inscrire dans le CGCT les nouveaux outils permettant aux collectivités territoriales de déléguer des compétences pour réaliser des projets spécifiques sur les territoires, et élargir le champ d’action du pouvoir réglementaire local.
Le texte s’applique d’abord à inscrire dans la loi dans un nouvel article L. 1111-3-1 du CGCT, ce qu’est la différenciation territoriale : « Dans le cadre de l’attribution des compétences aux collectivités territoriales, le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que la loi règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il soit dérogé à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit proportionnée et en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit. » (article 1)
Il étend aussi le pouvoir réglementaire local sur différents points de compétence identifiés dans le cadre des concertations territoriales, notamment la fixation du nombre d’élus au conseil d’administration des centres communaux et intercommunaux d’action sociale. (article 2)
En revanche, aucune disposition n’est consacrée à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution. Et pour cause, ce premier pas vers la différenciation territoriale est déjà en cours avec un projet de loi organique relatif qui a été adopté par le Sénat fin 2020 et qui sera soumis à l’Assemblée nationale au premier trimestre 2021.
Les conférences territoriales de l’action publique (CTAP) devraient prendre un peu plus de substance. L’article 3 du projet de loi complète l’article L. 1111-9-1 du CGCT. Dans les douze mois de son élections, le président de région convoquera une CTAP au cours de laquelle sera mis au débat le principe de délégations de compétences d’une collectivité territoriale à une collectivité territoriale relevant d’une autre catégorie ». Ces délégations devront toutefois porter « sur la réalisation de projets structurants pour les territoires ».
Dès l’article 5, ce dernier réaffirme le rôle transversal joué par les régions dans la transition écologique, en ajoutant la coordination et l’animation de l’économie circulaire. Il conforte également le département dans ses actions de transition écologique en lien avec ses compétences dans les champs de la santé, de l’habitat et de la lutte contre la précarité. Enfin, il renforce le rôle des communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dans l’animation et la coordination de la transition énergétique au plan local, en lien avec les plans climat air énergie territoriaux et leurs compétences en matière gestion de l’eau, de l’assainissement et de la gestion des déchets.
L’article 6 prévoit que de nouvelles voies du réseau routier national non concédé pourront être transférées aux départements, à la métropole de Lyon et aux métropoles, avec leur accord. Dans ce cadre, une convention conclue entre l’État et ces collectivités devra fixer dans les trois mois précédant le transfert de compétences « les modalités de répartition des services ou parties de service ainsi que le nombre et la liste des personnels » concernés. Les comités sociaux (devant succéder aux comités techniques à partir de fin 2022) de l’État et des collectivités territoriales devront être consultés. Faute d’accord, les emplois ou fractions d’emplois feront l’objet d’une compensation calculée au prorata du nombre d’agents et de la surface de chaussées transférées.
L’article 7 prévoit une expérimentation de cinq ans au profit des régions, pour laquelle celles-ci seront compétentes pour aménager, entretenir et exploiter des voies du réseau routier national non concédé. Les voies ouvertes à l’expérimentation représentent plus de 9 000 km sur les 11 500 km du réseau national non concédé. Cette disposition dote les régions des moyens financiers, humains et juridiques pour exercer cette nouvelle compétence. La région disposera d’une compensation financière calculée sur les mêmes bases qu’un transfert de propriété de routes. Là encore, « les modalités de répartition des personnels mis à disposition ainsi que le nombre et la liste des personnels chargés de la mise en œuvre des compétences transférées » devront faire l’objet d’une convention avec l’État.
Le texte prévoit enfin de permettre l’installation de radars automatiques par les collectivités ou leurs groupements (article 10). Une évolution législative qui s’inscrit dans la continuité des politiques volontaristes de sécurisation des espaces publiques mises en œuvre localement, peut-on lire dans l’exposé des motifs. Les conditions de l’installation des dispositifs et les modalités de traitement des constatations effectuées par les agents de police municipale et les gardes champêtres seront définies par décret en Conseil d’État.
L’article 14 repousse ainsi l’échéance pour atteindre 20 à 25 % de logements sociaux de 2025 à 2031.Le texte aborde ensuite les conventions intercommunales d’attribution de logements sociaux, qui doivent intégrer d’ici le 24 novembre 2021 la gestion « en flux » des attributions de logements, et non plus « en stock ».
Il est conféré un pouvoir supplémentaire aux intercos puisqu’il est prévu qu’en l’absence de convention intercommunale d’attribution, celles-ci pourront fixer à chaque bailleur social et à chaque réservataire (Etat, collectivités) des objectifs d’attribution de logements pour les ménages aux revenus les plus faibles, hors des quartiers prioritaires de la politique de la ville. En l’absence de convention intercommunale, l’objectif sera de 25% pour tous les bailleurs et réservataires. Des objectifs d’attribution de logements aux travailleurs dit « essentiels » devront également être fixés
Enfin, à titre expérimental, le texte prévoit que les intercommunalités puissent se voir déléguer en un seul bloc les compétences relatives aux aides à la pierre, à la gestion du droit au logement décent à la gestion du contingent préfectoral de logements sociaux, et celles relatives à la gestion de l’hébergement d’urgence.
Les procédures d'aménagement sont simplifiées. L’opération de revitalisation des territoires (ORT), support du plan Action Cœur de ville, mais ouverte à toutes les communes, pourrait désormais être conclue sur le périmètre d’une ou de plusieurs communes, mais sans intégrer la ville principale de la métropole, lorsque celles-ci présentent une situation de discontinuité territoriale ou d’éloignement par rapport à la ville principale de la métropole, tout en ayant une fonction de centralité (article 17 et s).
Dans ces mêmes ORT, et dans les grandes opérations d’urbanisme, le délai d’acquisition des biens sans maître serait modifié, passant de 30 ans à 10 ans.
Les organismes fonciers solidaires, qui visent à construire des logements en dissociant la propriété du bâti et son usage, via des baux emphytéotiques, voient leur rôle renforcé : ils pourront assurer la gestion de logements à destination de ménages intermédiaires, de locaux d’activité à usage professionnel ou commercial sous réserve d’un objectif de mixité sociale et de mixité fonctionnelle.
L'article 21 revient sur les projets partenariaux d’aménagement, créés par la loi Elan : un permis d’aménager multi-sites pourra être utilisé dans ce cadre à condition que l’opération d’aménagement garantisse l’unité architecturale et paysagère des sites concernés et s’inscrive dans le respect des orientations d’aménagement et de programmation du plan local d’urbanisme. Des modifications sont également apportées à la grande opération d’urbanisme (GOU) comme la possibilité d’accorder des dérogations aux règles de gabarit, de stationnement et de densité pour l’autorité qui délivre les autorisations d’urbanisme.
Enfin , l’expérimentation de l’encadrement des loyers est prolongée.
Le gouvernement semble toutefois avoir entendu les élus locaux dénonçant les piètres relations entretenues avec l’ARS. L’article 23 prévoit en effet que son conseil de surveillance deviendra un conseil d’administration, enrichi de trois vice-présidences dont deux désignées parmi les représentants des collectivités.
Ce nouveau conseil d’administration fixera « les grandes orientations de la politique contractuelle de l’agence sur proposition de son directeur général ».
L’article 24 du projet de loi ouvre la possibilité aux collectivités de financer l’ensemble des établissements de santé, publics ou privés. L’article 25 autorise les collectivités qui gèrent des centres de santé à recruter les professionnels (médicaux, auxiliaires médicaux et administratifs) qui exerceront dans ces centres.
Après la suppression de la clause générale de compétence pour les départements (et régions) par la loi NOTRe en 2015, marche arrière avec le texte 4D, dont l’article 26 prévoit de nouvelles facultés pour les départements. Ils pourront de nouveau « intervenir en faveur des organismes à vocation sanitaire et de lutte contre les zoonoses ».
Un nouvel alinéa à l’article L3211-1 du CGCT prévoit également que le conseil départemental pourra «promouvoir les solidarités, la cohésion territoriale et l’accès aux soins de proximité sur le territoire départemental, dans le respect des compétences de l’Etat, et dans le respect de l’intégrité, de l’autonomie et des attributions des régions et des communes ».
L'article 27 instaure en effet une « expérimentation de la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) » : « la concentration d’allocataires dans certains territoires pose la question de la pertinence de la décentralisation de cette prestation et de son financement », relève l’exposé des motifs. L’expérimentation du « transfert à l’Etat de l’instruction administrative, de la décision d’attribution et du financement du RSA et du revenu de solidarité » sera possible dès le 1er janvier 2022 pour « quelques départements volontaires ». Nouvelle compétence encore pour les conseils départementaux, qui se voient attribuer « une compétence de coordination du développement de l’habitat inclusif et de l’adaptation du logement au vieillissement de la population ».
L'article 30 leur transfère la responsabilité de la tutelle des pupilles de l’Etat « pour compléter le processus de décentralisation en la matière ». L’article 29 autorise, lui, les métropoles et les communautés urbaines à exercer une compétence d’action sociale et à créer un centre intercommunal d’action sociale.
Le projet de loi propose deux mesures allant dans le sens d’une simplification de la gestion RH. La première prévoit, dans un délai d’un an à compter de la date de publication de la loi, le rattachement des directeurs des instituts départementaux de l’enfance et de la famille (IDEF) à la FPT (article 31).
Les fonctionnaires concernés pourraient conserver, s’ils y ont intérêt, le bénéfice du régime indemnitaire qui leur était applicable. Et à compter du 1er janvier 2022, les agents contractuels exerçant la fonction de directeur relèveraient de plein droit des conseils départementaux dans les conditions d’emploi qui sont les leurs. Ils conserveraient, eux aussi, à titre individuel, le bénéfice des stipulations de leur contrat. le projet de texte entend mettre fin, de manière progressive au casse-tête – qui dure depuis plus de 15 ans- de la double hiérarchie dans les collèges et lycées (article 32).
Cela supposerait de passer par une case expérimentation de trois ans consistant à donner un « pouvoir d’instruction du président du conseil régional, du président du conseil départemental ou du président de toute collectivité territoriale de rattachement des établissements publics locaux d’enseignement vis à vis de l’adjoint du chef d’établissement chargé des fonctions de gestion matérielle, financière et administrative, au titre des missions relevant de la compétence de la collectivité concernée ».
Un décret en Conseil d’Etat aura à déterminer les conditions et les objectifs de l’expérimentation.
Et peut-être le plus important, l’article 33 décrit les modalités de compensation des transferts de compétences prévues dans le texte. « Ces compensations financières s’opèrent, à titre principal, par l’attribution d’impositions de toute nature aux départements et par l’attribution de crédits budgétaires aux métropoles, à la métropole de Lyon et aux communautés urbaines, dans des conditions fixées en loi de finances. »
Le préfet de région devient délégué territorial de l’Ademe, et dans le domaine de l’eau, le texte confie la présidence du conseil d’administration de l’agence au préfet coordonnateur de bassin où l’agence a son siège (articles 35 et 36).
L’article 37 précise le rôle des contrats de cohésion territoriale, créés par la loi du 22 juillet 2020 qui a institué l’Agence nationale de cohésion des territoires. Ils peuvent être conclus pour la mise en œuvre des projets de développement et d’aménagement territorial entre, d’une part, l’Etat et, d’autre part, les communes et les EPCI pour les projets relevant de leurs compétences respectives.
La région et le département peuvent également être parties prenantes à ces contrats. Ils concourent à la bonne coordination des politiques publiques, et précisent les modalités de financement des projets par l’Etat, les collectivités territoriales et les autres financeurs, dans le respect de leurs compétences respectives.
Le mode de fonctionnement du Cerema va être modifié, avec une plus grande participation des collectivités dans la gouvernance. Objectif : faciliter l’accès des collectivités à leur offre de services, tout en respectant les règles de la commande publique (article 38).
Le texte prévoit notamment de faciliter les partages de données entre administrations lorsqu’ils permettent de simplifier les démarches des usagers auprès du service public.
L’article 40 sudes domaines, procédures et des administrations faisant l’objet de ces échanges, afin d’instaurer la règle du partage par défaut des informations entre administrations en cas de demande ou de déclaration de l’usager.
Le texte prévoit à son article 41 de renforcer la capacité de contrôle et de sanctions de la CNIL, en simplifiant par exemple la procédure de mise en demeure.
L’article 42 vise, lui, à accélérer la mise en place des bases adresses locales utiles pour le déploiement du très haut débit.
Le texte envisage aussi de simplifier la répartition des tâches entre l’ordonnateur et le comptable en déléguant à ce dernier les décisions d’admission en non-valeur de faibles montants, de faciliter les dons de biens mobiliers par les collectivités territoriales (articles 44 et 45).
Plusieurs mesures de simplification en matière d’aménagement et d’environnement sont également mentionnées, parmi lesquelles l’élargissement aux syndicats mixtes du droit de préemption des terres agricoles sur les aires d’alimentation des captages d’eau potable (article 46), la clarification du régime de protection des alignements d’arbres (article 48), ou encore la simplification de la répartition des compétences en matière d’entretien des réseaux de distribution de gaz (article 49). Cet article organise le transfert de la propriété des canalisations de gaz « situées entre le réseau public de distribution et l’amont du compteur (aussi appelées conduites d’immeubles / conduites montantes) aux collectivités territoriales propriétaires des réseaux publics de distribution de gaz lorsque ces parties ne sont pas déjà intégrées dans la concession ».
Les articles 55 à 58 sont consacrés à la transparence des entreprises publiques locales. Différentes mesures viennent ainsi renforcer le contrôle des sociétés locales par les assemblées délibérantes, élargir le rôle des commissaires aux comptes, étendre le contrôle de l’agence française anticorruption et prévoir la nullité des délibérations des conseils d’administration ou du conseil de surveillance et des assemblées générales des sociétés d’économie mixte locales non transmises dans les quinze jours suivant leur adoption au représentant de l’Etat dans le département.
L’article 59 créé une expérimentation pour cinq ans, limitée aux territoires ultramarins, d’un état de calamité naturelle exceptionnelle. Il définit les conditions de déclaration de cet état de calamité naturelle exceptionnelle, avec trois conditions cumulatives : un aléa naturel majeur, une atteinte au fonctionnement normal des institutions, un danger grave imminent.
L’article 60 permet de prolonger jusqu’en 2031 l’existence de l’agence des cinquante pas géométriques. « Il prolonge également jusqu’en 2024 les délais pour délimiter les zones urbaines dans ces espaces ».
Enfin, les articles 61 à 64 ont pour objectif :
- d’adapter la prescription acquisitive immobilière à Mayotte ;
- de créer dans les collectivités de Guadeloupe, de Guyane, de la Martinique, de La Réunion et de Mayotte une catégorie d’établissements publics à caractère industriel et commercial en matière de formation professionnelle ;
- de permettre aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) de diversifier ses sources de financement en lui permettant de confier à un organisme tiers l’encaissement de recettes issues d’un financement participatif ;
- de supprimer l’obligation de subdivision en deux sections des CESECE de Guyane et de Martinique.