Les villes, en raison de la répartition officielle des compétences entre collectivités et État, ne réalisent pas souvent qu'elles jouent un rôle crucial dans la promotion de la santé.
Pourtant, chaque nouvel aménagement qu'elles entreprennent peut être envisagé à travers son impact sur la santé publique et l'environnement. C'est ce qu'explique Ariane Rozo, coordinatrice urbanisme lié à la santé et l'environnement à l'Ademe.
De nombreux facteurs influencent l'état de santé d'une personne, que l'OMS définit comme un état de bien-être complet, incluant la santé physique, mentale et sociale. Contrairement aux idées reçues, la majorité de ces déterminants de santé ne sont ni génétiques ni liés au système de soins, mais plutôt à des facteurs socioéconomiques, environnementaux, et à des comportements individuels.
Ce sont précisément ces trois dimensions sur lesquelles les collectivités peuvent agir, par le biais de politiques en matière de mobilité, d'espaces verts, de lutte contre les îlots de chaleur urbains, de mobilier urbain, et de promotion de la vie sociale dans les espaces publics.
L'idée selon laquelle les villes ne seraient pas des acteurs clés de la promotion de la santé perdure en raison de la répartition officielle des compétences. En réalité, chaque nouvel aménagement peut être analysé sous l'angle de son impact sur la santé publique et l'environnement.
Urbanisme favorable à la santé
Cette approche s'inscrit dans la démarche de « l'urbanisme favorable à la santé » (UFS), développée depuis une quinzaine d'années en France sous l'impulsion de l'EHESP. L'objectif est de replacer la santé et le bien-être des populations au cœur de l'urbanisme.
L'UFS vise à réduire l'exposition des populations aux facteurs nuisibles et à maximiser les éléments bénéfiques pour leur santé et bien-être, tout en réduisant les inégalités sociales. Ce concept a également des co-bénéfices environnementaux directs : la nature en ville améliore la santé mentale, tandis que la promotion des mobilités actives (vélo ou marche) améliore à la fois la qualité de l'air et la forme physique.
Santé et transition écologique
Cela montre que la santé et la transition écologique sont étroitement liées. Ce qui est bon pour la santé favorise souvent la transition écologique, et vice versa. C'est pourquoi des institutions comme l'Ademe s'intéressent à cette approche, y voyant un levier efficace pour la transition des villes.
L'argument de la santé et du bien-être, touchant directement chacun d'entre nous, peut être plus mobilisateur pour les transformations urbaines que l'argument écologique, parfois perçu comme plus abstrait. Par exemple, pour encourager une personne à passer de la voiture au vélo, un argument sur la santé (réduction du cholestérol, baisse de la tension artérielle) sera souvent plus convaincant qu'un argument sur les émissions de gaz à effet de serre.
Un superpouvoir pour les collectivités
Malgré l'intérêt académique et institutionnel pour cette approche, peu de collectivités ont encore pleinement conscience du « superpouvoir » que représente l'UFS pour transformer leurs espaces publics. Il est donc nécessaire de changer les mentalités chez les élus, pour qu'ils dépassent une vision trop centrée sur l'hôpital et le soin, et qu'ils comprennent qu'ils ont un rôle à jouer en matière de santé publique, ce qui pourrait même constituer un argument électoral.
Pour promouvoir cette démarche, l'Ademe a contribué à la publication du guide ISadOrA en 2020, en collaboration avec l'EHESP. Ce guide est une référence pour intégrer la santé dans les projets d'aménagement. Il propose de repenser la conception des espaces publics, des mobilités, des logements et des espaces verts afin de les rendre plus favorables à la santé, au bien-être et à l'inclusion.
Pour sortir du cadre des guides exhaustifs, l'Ademe a organisé en juin 2023 le « booster de l’UFS », une initiative réunissant une cinquantaine d'acteurs de divers domaines (santé, urbanisme, transition écologique, design, inclusion, data) pour encourager des approches pragmatiques et innovantes de l'UFS.
Des idées concrètes ont émergé de cet événement, telles que la transformation d'un fort Vauban abandonné en îlot de fraîcheur ou l'amélioration d'un abribus pour en faire un outil au service de la santé.
L'UFS ne se limite pas à planter des fleurs ou des arbres sans réflexion. Il s'agit d'une stratégie visant à ne pas creuser les inégalités, en se concentrant sur les zones où vivent les populations les plus vulnérables. Construire un écoquartier verdoyant qui favorise la gentrification n'a, par exemple, aucun sens.
Des villes pionnières en France
Certaines grandes villes françaises, comme Rennes, Lyon, Lille, Strasbourg et Paris, ont déjà adopté cette démarche. Lyon, par exemple, met en avant l'approche « One Health » qui souligne les liens entre la santé des individus, des animaux et des écosystèmes, tandis que Paris a systématisé les évaluations d'impact sur la santé pour ajuster les projets d'aménagement.
Des expérimentations en cours
Bien que peu d'études aient encore évalué les effets concrets de l'UFS sur la santé, certaines initiatives montrent déjà des résultats prometteurs. Par exemple, la piétonnisation des rues scolaires en Île-de-France a réduit les concentrations de dioxyde d'azote jusqu'à 30 % autour des écoles.
L'objectif désormais est double : mesurer l'impact des actions UFS sur la santé pour démontrer leur efficacité aux élus, et encourager même les petites collectivités à intégrer cette démarche à leur échelle. L'UFS n'est pas réservé aux grandes villes.
Pour atteindre cet objectif, l'Ademe, en partenariat avec l'Ecolab, le Cerema, Santé Publique France et l'Institut national du cancer, accompagne 10 expérimentations de terrain de mai 2024 à mai 2025. Ces projets variés, allant de la reconversion d'un parking en place de village à la rénovation d'une école axée sur le bien-être, visent à démocratiser l'urbanisme favorable à la santé et à prouver ses bénéfices concrets sur la santé et le bien-être.
Lire l'article complet "La santé, un argument plus porteur que l'écologie pour verdir les villes ?" d'Ariane Rozo
Source : Le Courrier des maires et des élus locaux, 27/08/2024